VIRGINIE LOZE / DESSINS 1995

Le dessin connaît, depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nouveaux développements sur la scène internationale à travers l'œuvre de jeunes artistes. Affranchi du statut de projet, il est devenu une activité à part entière au point d'être une pratique unique pour certains. Parce qu'il était dégagé du poids historique inhérent au tableau, il a constitué une alternative à l'impasse dans laquelle se trouvait la peinture. D'une manière générale, le retour au genre semble bien avoir coïncidé avec des préoccupations d'ordre économique, mais aussi et surtout, avec des considérations esthétiques. Peu onéreux et peu encombrant, donc plus facile à diffuser et à écouler, le dessin s'est présenté comme une issue pour l'artiste durement frappé par la crise du marché de l'art. Et pour toute une génération imprégnée de séries télévisées et de films cultes, de bandes- dessinées et de musique pop, il a su répondre, par ses qualités narratives, au retour du privé de l'artiste. Entre fiction et réalité, le dessin constitue un champ d'expérimentation libre allant de l'illustration anecdotique à l'esthétique trash, dont l'anticonformisme peut se réclamer de la contre-culture.

Les dessins de Virginie Loze sont habités par de singuliers personnages qui flottent dans l'espace blanc de la feuille de papier comme s'il ne faisaient que passer. Conviés par l'artiste, objets, végétaux et animaux anthropomorphisés, créatures hybrides ou simplement humaines se succèdent dans une même attitude, celle du portrait. Durant ce noble exercice, ces simulacres d'individus, que l'on prendrait volontiers pour des ectoplasmes, affichent des expressions de tristesse, de passivité, parfois de peur ou de colère.

Apparitions fantomatiques, certains s'évanouissent déjà dans la pâleur de leur décor. Peut-être n'ont-ils jamais existé à nos yeux ? Mais non, ils sont encore là. Ils sont bien là. Ils nous regardent et nous les regardons. Entre eux et nous, restent des blancs. C'est que nous ne sommes pas de la même nature. Leur incongruité physique dérange, à croire qu'ils sont affectés de maux inavouables. Par endroits leur corps devient transparent. On ne sait pas de quoi ils sont faits. Pas de chair en tout cas. Plutôt de désir. Oui, de la promesse d'un corps.

Tous racontent une histoire très personnelle et à laquelle nous sommes parfaitement étrangers. Comme dans un rébus le dessin est sommaire, réduit à l'essentiel. Certains indices sont donnés à voir, parfois même des inscriptions fournissent des indications supplémentaires. Planté à la façon de monsieur Bertin par Ingres, "le glacier de la mort", petit fantôme à l'air maussade et désenchanté, pourrait bien être un personnage de la pire espèce, le bourreau d'une société secrète. A moins qu'il n'incarne une métaphore plus contemporaine en l'image d'un préservatif fatigué.

Ainsi, les déformations et autres métamorphoses dont Virginie Loze affuble avec humour ces personnages, déjouent-elles notre attente. Parce qu'ils empruntent à la bande-dessinée, à la caricature et, pourquoi pas, aux grotesques, toutes sortes de facéties, ces dessins remettent en question notre idée de la représentation. Ce qui est sûr, c'est que derrière la prolifération insolente de ces sujets improbables, il est question de menaces qui défient l'individu, d'atteinte à l'intégrité, de l'appétence contrariée, de signes du dérèglement psychique et d'aliénation.

Catherine Macchi. Galerie Sintitulo, Nice.

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